UN PARFUM DE LEGENDE à PARIS.

LYNYRD SKYNYRD à l'ELYSEE MONTMARTRE
Les 13 et 27 Février 1992.

Photos par John Molet et Alex Mitram.

Lynyrd Skynyrd "Elysée Montmartre" Paris le 13 février 1992

 

Lynyrd Skynyrd "Elysée Montmartre" Paris le 27 février 1992

 

Lynyrd Skynyrd a toujours frappé l’imagination de beaucoup de rockers sudistes français. Pour la majorité d’entre nous,
c’était la base, l’exemple, le modèle à suivre. Et ceux qui prétendraient le contraire seraient de fameux menteurs.

Je n’étais pas un fan de la première heure. Á l’époque, j’écoutais surtout du rockabilly et du rock’n’roll fifties.
Et puis, même si j’avais connu Lynyrd, j’étais trop jeune pour assister à leurs shows parisiens en 1974 et 1975.

Un pote batteur m’a fait découvrir le gang de Jacksonville à la fin de l’année 1981. Immédiatement séduit par cette musique originale, j’ai acheté tous les albums dans la foulée. Quelques mois plus tard, ce même copain me proposait de rejoindre son groupe pour jouer du rock sudiste. Et quand on essaie de s’exprimer dans ce style musical, Lynyrd Skynyrd est incontournable. Je me souviens de ces longues heures passées dans ma chambre, l’oreille collée au haut-parleur de mon électrophone, à essayer de choper les paroles de « Travelin’ man » et à tenter de reproduire correctement les accords de « Sweet home Alabama » ou les arpèges de « Simple man » pour pouvoir les ressortir en répétition.

Oui, Lynyrd Skynyrd incarnait LE groupe de rock sudiste par excellence avec un dépaysement total et une invitation à la course aux fantasmes. Tout nous faisait rêver. La musique avec les chansons incroyables et les solos de guitares débridés.

La dégaine des mecs avec les cheveux longs, les bottes et les chapeaux de cowboy, les gilets en cuir, les boucles de ceinturon. Le mythe aussi. La route sans fin, les concerts, la bringue permanente, la bagarre, les bières, le bourbon et les filles.

Et la fierté du vieux Sud avec le drapeau rebelle flottant au vent. Avec une horrible tragédie en prime.

Un accident d’avion dramatique et injuste, véritable billet d’entrée dans la légende. Mais surtout la personnalité et le charisme de Ronnie Van Zant, le rocker sudiste ultime, l’oiseau libre.

En fait, on ne connaissait pas grand-chose de l’histoire de ce groupe emblématique. Juste quelques informations truffées d’erreurs et distillées au compte-gouttes par une ou deux revues musicales françaises de l’époque (dont un magazine bien connu qui calquait sa démarche sur celle de la presse à scandale). Autant dire, pratiquement rien. On ignorait ce qui se passait aux States (comme l’apparition des anciens membres de Lynyrd Skynyrd à une Volunteer Jam de Charlie Daniels).
On savait seulement que le Rossington-Collins Band regroupait presque tous les survivants du crash et on possédait ses albums mais rien de plus.

Il faut souligner qu’au début des années 80, la chute du géant sudiste était encore bien présente dans les mémoires. Ainsi, le disque « Best of the rest » a immédiatement cartonné avec ses deux inédits. Et quand Molly Hatchet nous a rendu visite
à Paris en mars 1983, il a suffi que Dave Hlubek balance les premières notes de « Sweet home Alabama » pour mettre le public en délire.

Oui, la blessure restait brûlante et nous nous demandions tous si la résurrection du grand Lynyrd Skynyrd aurait lieu.

Mais le temps a passé insidieusement. Le rock sudiste n’a plus été au goût du jour.

Finies les aventures du mec simple qui taillait la route pour retrouver son doux foyer d’Alabama.

Notre petit groupe s’est séparé, les copains préférant jouer un autre style de musique. Moi, je suis resté fidèle à ma passion. J’ai continué d’écouter du rock sudiste et j’ai conservé mon allure de vieux « redneck », rejoignant ainsi les rangs clairsemés des irréductibles et des dinosaures.

Et puis, un beau jour de 1988, un double album live a fleuri dans les bacs. Je me suis précipité dessus et je n’ai pas été déçu avec le retour d’Ed King et le petit frère de Ronnie qui assurait le chant.

Cependant, j’avais bien compris que le groupe ne s’était reformé que pour assurer un « Tribute Tour » aux USA et je n’osais même pas envisager un passage en France.

Mais quand le « Lynyrd Skynyrd 1991 » est sorti, j’ai révisé mon opinion. Avec un disque uniquement composé de nouveaux morceaux, le groupe affichait un renouveau évident. Et là, tous les espoirs étaient permis pour une tournée européenne.

Alors, quand j’ai appris la venue de ce combo légendaire à Paris pour deux concerts exceptionnels,

je n’ai pas hésité une seconde et j’ai pris mes billets pour les deux shows. Et j’ai eu raison !

Le soir du 13 février, je remonte rapidement le boulevard qui mène à l’Élysée Montmartre. Mon cœur cogne à tout casser sous l’emprise d’une joie intense. Ça va être un concert de folie !

Arrivé devant la salle, je constate qu’une vingtaine de fans se pressent déjà devant les portes. Je patiente tout en écoutant les conversations autour de moi. Ce sont des interrogations sur le répertoire de la soirée qui reviennent le plus souvent. Á mesure que le temps passe, la file s’allonge derrière moi mais je n’aperçois aucune tête connue. Je pensais pourtant revoir quelques vieux potes à ce concert. Étonnant !

Je suis aussi surpris de voir que les types qui attendent devant l’Élysée Montmartre ont pratiquement la dégaine de monsieur-tout-le-monde. Pas de cowboys ni de rebelles à l’horizon. Bizarre !

Les portes s’ouvrent enfin et les videurs tentent tant bien que mal de contenir la foule. J’ai de la chance, je fais partie du premier lot autorisé à entrer.

La fouille passée, je me dépêche de rejoindre le devant de la scène. Les places sont chères mais j’arrive à me faufiler au premier rang. Enfin, c’est seulement la moitié droite de mon corps qui s’y trouve. J’ai réussi à me positionner de travers en m’accoudant à la barrière et en posant ma botte droite sur l’espèce de marche qui longe la scène (je resterai d’ailleurs comme cela durant tout le concert, à mi-chemin entre le premier et le deuxième rang).

Juste derrière, ça se bouscule un peu et tout le monde se retrouve légèrement compressé.

Les fans veulent s’approcher le plus près possible de leurs idoles et c’est bien normal.

Ça me rappelle l’époque héroïque !

J’essaie de voir si je reconnais quelqu’un dans le public mais sans succès. Tant pis pour les vieux copains !

Avec tout ça, le temps a passé et l’heure de la première partie est venue avec les Blues Travelers.

Les musiciens se débrouillent bien mais leur blues-rock au tempo moyen ne me passionne pas. Ils récoltent des applaudissements d’estime mais il ne faut pas se voiler la face : le public ne s’est pas déplacé pour eux et il ne va pas leur faire un triomphe. Bon, on ne va pas revenir sur l’éternel problème de la programmation d’artistes qui n’ont rien à voir avec le groupe vedette pour lequel ils ouvrent. Merci, messieurs les organisateurs !

Les Blues Travelers finissent leur set au bout de trois quarts d’heure. La tension monte soudain d’un cran et devient palpable. L’impatience grandit. Nous voulons tous voir nos héros.

Et puis, le grand moment arrive ! Les lumières s’éteignent, un bruit de tonnerre résonne dans les enceintes et les premières notes de « Smokestack lightning » retentissent dans la salle qui vibre sous les hurlements.

Je constate tout de suite qu’Artymus Pyle n’est pas de la partie. Dommage, mais tous les autres sont là. Devant mes yeux ébahis, des légendes vivantes du rock sudiste se déplacent sur la scène. Des musiciens mythiques, des pionniers, des survivants. Gary Rossington, Ed King, Billy Powell, Leon Wilkeson. Et le frère cadet de Ronnie, Johnny Van Zant, qui nous a régalés par le passé avec de bons albums bien sudistes.

Il y a aussi Dale Krantz, l’ancienne chanteuse du Rossington-Collins Band, qui assure les chœurs avec une collègue.
Quant au troisième gratteux, il s’agit de Randall Hall qui avait participé au Tribute Tour de 1987. Rien que du beau monde pour une soirée qui s’annonce inoubliable ! « Smokestack lightning » balance bien avec un bon solo de Gary Rossington qui fait chanter sa Gibson LesPaul. Dès le début du morceau, l’homogénéité et l’efficacité du groupe ne font aucun doute.
Le choix de débuter le show par un titre du dernier album en date prouve la volonté de Lynyrd Skynyrd de ne pas être assimilé à un vulgaire « tribute band ». Et les musiciens y parviennent haut la main avec un professionnalisme et une technique sans faille. Le public ne s’ytrompe pas et hurle son contentement. Ed King et Randall Hall échangent ensuite une improvisation sympathique, prélude à un « I know a little » qui swingue à mort.

Juste après, un roulement de batterie résonne dans l’Élysée Montmartre et c’est « Saturday night special » qui nous déboule en pleine poire. Gary joue le solo d’origine tout en tirés de cordes. Incroyable ! On se croirait à Jacksonville à la grande époque ! Des applaudissements nourris et des cris de joie saluent cette belle prestation.

Johnny Van Zant nous remercie, nous dit bonsoir et affirme qu’il fait bon être ici (« Thank you very much ! Good evening Paris ! It’s good to be here ! »).

Le groupe redémarre sur « You got that right », avec Randall Hall à la deuxième voix.

En vieux routiers du rock, les musiciens ne relâchent pas la pression avec un « What’s your name » musclé. Ravi, le public en redemande. « Keeping the faith » est enchaîné directement avec “Good thing”. Bien que moins connus, ces deux nouveaux morceaux du dernier album ne font pas retomber la tension. Johnny présente Billy Powell sous un tonnerre d’applaudissements. Ed King égrène quelques arpèges et les choristes entonnent le refrain de « Simple man » juste avant que l’intro intemporelle de ma chanson préférée résonne dans une salle chauffée à blanc. Je crois que mon cœur va exploser ! Gary et Ed se chargent du solo harmonisé et le public reprend le refrain en chœur. C’est du délire ! Émerveillé, j’assiste à la réalisation d’un de mes rêves de jeunesse.


C’est au tour d’Ed d’annoncer « The ballad of Curtis Loew ». Quel bonheur de voir devant moi le légendaire Ed King jouer de la slide en finesse sur un titre mémorable ! « I’ve seen enough » vient juste après avec son intro de batterie syncopée.

Johnny demande si nous sommes prêts (« Are you ready ? ») et c’est « That smell » qui nous chatouille les oreilles avec les solos partagés par Ed et Randall ainsi que l’intervention de Gary sur le break. Le public exulte. Moi, je suis au paradis.

Le voyage dans le temps se poursuit avec « Gimme three steps » et le solo bien rock de Gary Rossington qui, à la fin du morceau, repart immédiatement sur la rythmique de « Call me the breeze ». Gary et Billy Powell se succèdent pour les solos. En guise de conclusion, seul à la guitare, Randall Hall balance une longue improvisation à faire pâlir tous les hard rockers de la création.

Johnny présente alors Randall et Gary. Les applaudissements redoublent tandis que Johnny nous fait une belle déclaration (« Paris, we love you ! »). La fête continue avec un « Backstreet crawler » impeccable. Le public tape dans les mains sur le break renforcé par quelques arpèges d’Ed King et le final accéléré nous refile une bonne claque. Il n’y a rien à redire, c’est la grande classe !

Ed fait de l’humour en nous disant que ceux qui sont nés en Alabama fassent bien attention à la chanson qui va suivre puis il gratte les trois accords du fabuleux « Sweet home Alabama » et Johnny reprend la phrase de son frangin en hurlant « Turn it up ! ». Ed refait le même solo que sur le disque. Merveilleux ! Là, je ne sais plus si je suis en plein rêve ou dans la réalité. Je ne pensais jamais voir cela un jour. Apparemment, je ne suis pas le seul car la foule devient hystérique. En cet instant, je me dis que le rock sudiste n’est pas mort.

Les meilleures choses ayant une fin, les musiciens saluent le public et quittent la scène.

Pendant de longues minutes qui me semblent durer une éternité, nous hurlons tous pour un rappel.

Dale Krantz apparaît alors sur scène et nous dit en français « Merci beaucoup ! ».

Elle continue ensuite en anglais en nous expliquant qu’il s’agit d’une soirée spéciale et que Lynyrd Skynyrd a attendu longtemps pour voir ses amis parisiens. Elle nous affirme que Johnny va chanter les paroles de « Free bird » rien que pour nous puis elle énumère les victimes du crash. Quand elle prononce le nom de Ronnie Van Zant, la salle tremble.

Un roadie vient poser une statue d’aigle sur le piano de Billy Powell. Ça fait un effet du tonnerre.

Dale présente Johnny sous les applaudissements du public. Ce dernier nous remercie et, reprenant la célèbre formule de son frère, nous demande quelle chanson nous voulons entendre (« What song do you wanna hear, Paris ? »). Nous lui répondons d’un seul cri : « Free bird ! »

Et c’est parti pour plus de dix minutes d’orgie musicale avec un Ed King héroïque qui s’occupe du solo principal. La musique intense et puissante nous fait décoller et nous propulse sur orbite. C’est l’apothéose, l’explosion finale, le délire ultime !

Je n’en crois pas mes yeux ni mes oreilles. J’assiste à un moment unique, à un morceau de bravoure échappé d’un passé glorieux. La batterie me martèle l’estomac comme un troupeau de chevaux sauvages, la basse vibre, les guitares rugissantes me vrillent les tympans. C’est la folie ! Une claque monumentale !

Le dernier accord plaqué, les musiciens nous saluent et disparaissent définitivement en coulisses. Je reviens peu à peu dans le monde réel. Autour de moi, je ne vois que des visages souriants et des mines satisfaites. Le stand du merchandising est pris d’assaut mais je réussis à acheter deux T-shirts (celui de la tournée 1991 et un autre imitant le logo Jack Daniel’s).

Sur le chemin du retour, j’analyse un peu plus la soirée que je viens de vivre. Lynyrd Skynyrd a frappé un grand coup et prouvé qu’il était toujours dans la course. J’étais venu voir un des groupes fondateurs du rock sudiste et je n’ai pas été déçu. J’ai applaudi des musiciens légendaires. J’ai vu mes héros jouer les chansons qui avaient bercé ma vie de jeune homme. Le grand Ed King à la technique aussi subtile qu’impressionnante. Gary Rossington grattant sa Les Paul, impassible sous son Stetson. Billy Powell et ses mains agiles. Leon Wilkeson, sa basse élastique et ses nombreux changements de chapeaux. Johnny Van Zant, le petit frère de Ronnie. Non, je n’ai pas été déçu. Je suis tout simplement heureux.

Et dire que dans deux semaines, je vais revivre tout ça !

Pour le deuxième concert du 27 février, j’arrive encore plus en avance. Dès l’ouverture des portes, je me précipite pour me placer en plein milieu du premier rang.

Je m’accoude à la rambarde, les bottes bien calées sur cette fameuse marche longeant la scène. De mémoire, je sais que je vais être juste en face de Johnny Van Zant avec Ed King sur ma gauche et

Gary Rossington sur ma droite. En quelques instants, les premières places sont occupées et les rangs de derrière se remplissent rapidement. Je sens soudain qu’on me tape sur l’épaule. Je me retourne en pensant voir un vieux copain. Au lieu de ça, je me retrouve face à un mec aux allures de hippie qui a dû se tromper d’endroit. Il me dit que cette fameuse marche surélève le premier rang et me demande si je ne pourrais pas me baisser pendant le show afin qu’il puisse mieux voir.

Ben voyons ! Je lui réponds très aimablement qu’on n’est pas à Woodstock et que s’il voulait mieux voir, il n’avait qu’à se pointer plus tôt. Ma réponse n’a pas l’air de lui plaire mais il ne me moufte pas. Malgré son air ahuri, il doit lui rester un peu de bon sens.

C’est toujours pareil ! Un concert sur deux, je tombe sur un casse-pieds qu’il faut remettre à sa place.

Je profite de cet intermède pour jeter un coup d’œil derrière moi mais je ne vois personne de connaissance et ça m’étonne. Mes anciens potes auraient-ils oublié le rock sudiste ?

Mes interrogations sont stoppées par les Français de Venus Lips qui assurent la première partie. Ce n’est pas mal mais, encore une fois, je ne suis pas venu pour ça et j’attends impatiemment le set de Lynyrd Skynyrd. Je pense savoir ce qui m’attend car, en bons professionnels, les musiciens vont sans doute refaire la même prestation. J’ignore encore que cette soirée va me réserver quelques surprises.


Le moment tant attendu arrive enfin ! Les lumières s’éteignent, un bruit de tonnerre se fait entendre et c’est reparti pour « Smokestack lightning ». C’est sûr, ça va encore faire mal !

Je ressens soudain un poids sur mon épaule droite. C’est le hippie de tout à l’heure qui s’appuie sur moi, sans doute pour mieux voir. Bon sang ! Je ne vais pas laisser cet abruti gâcher mon concert ! J’attends que le videur, qui fait les cent pas dans l’avant-scène, se dirige vers le côté gauche et je saisis ma chance. Je me retourne rapidement et j’expédie « gentiment » l’importun dans les rangs de derrière. Il disparaît de ma vue, happé par la marée humaine.

Je vais pouvoir profiter du spectacle !

Au début, tout se déroule comme la fois précédente : « Smokestack lightning » qui balance bien, « I know a little » et l’improvisation d’Ed King en intro, « Saturday night special » et le solo de Gary Rossington. Rien d’étonnant à cela car beaucoup d’artistes s’en tiennent à leur « set-liste » quand elle est bien rodée.

Johnny Van Zant nous remercie et le groupe embraye sur « The needle and the spoon », première surprise de la soirée.
Bien vu !

Après un « You got that right » énergique, Johnny nous parle d’un titre du dernier album « 1991 », « Southern woman ». Merci pour la deuxième surprise ! Sur le break, Johnny encourage le public parisien à taper dans ses mains (« Come on, Paris ! »). Je me dis que j’ai bien fait de prendre des billets pour les deux shows.

Johnny nous affirme que c’est bon de revenir à Paris pour la deuxième fois et les musiciens envoient un « What’s your name » costaud.

Johnny reprend la parole et nous remercie d’être venus si nombreux pour ce deuxième concert. Ensuite, nous avons droit à « Keeping the faith » directement enchaîné avec « Good thing ». Johnny présente Billy Powell puis nous dit que c’est le moment de sa chanson favorite, « Simple man ». Le morceau sera interprété de la même façon que le soir du 13 février.

Pour la deuxième fois de ma vie, je vois les survivants de la tragédie jouer mon titre préféré et ça n’a pas de prix.

« That smell » vient juste après, avec les guitares d’Ed King et de Randall Hall qui se répondent, suivi de
« I’ve seen enough ». Sur un rythme de batterie, Johnny nous dit que Lynyrd Skynyrd est de retour à Paris et nous fait taper dans les mains. Il affirme qu’il ne nous entend pas (« I can’t hear you ! ») alors nous gueulons encore plus fort et « Gimme three steps » secoue l’Elysée Montmartre. Le groupe continue avec « Call me the breeze ». Á la fin, Randall Hall nous refait le coup du « guitar hero » mais cette fois-ci, il rajoute dans son improvisation l’air de « Happy birthday ». Johnny lui sourit et le remercie d’un signe de tête avant de présenter Gary Rossington qui gratte quelques notes pleines de larsen et de sustain.

Je devine que c’est l’anniversaire de Johnny Van Zant. J’avais bien remarqué que les musiciens buvaient fréquemment dans des gobelets en plastique quelque chose qui ressemblait fortement à du bourbon. Je me dis qu’ils ont bien raison d’en profiter. Après tout, pour des Américains, ce n’est pas tous les jours l’occasion de fêter l’anniversaire d’un pote à Paris. Cependant, ils le fêtent peut-être un peu trop car j’ai remarqué à plusieurs reprises des signes d’animosité entre Ed King et Gary Rossington (une ou deux bousculades et à un moment, Ed balancera même le contenu de son gobelet sur Gary).

Quinze ans après, les membres de Lynyrd Skynyrd semblent respecter la tradition des engueulades internes.

Comme si nous n’étions pas assez assommés par ce festival de six-cordes, « Backstreet crawler » (superbe morceau du dernier album) en remet une couche avec son final énervé. « Sweet home Alabama » annonce malheureusement la fin de cette soirée historique. Johnny hurle un vigoureux « Turn it up ! ». La salle sombre dans le délire et le passé renaît de ses cendres avec les solos du fabuleux Ed King.

Les musiciens se barrent en coulisses et le public trépigne pendant de longues minutes pour le rappel.

Moi, je ne suis pas inquiet car je sais qu’ils vont revenir pour « Free bird ».

Comme l’autre fois, Dale Krantz s’adresse à la foule. Elle nous remercie et déclare que Lynyrd

Skynyrd est remonté sur scène grâce à nous, les fans. Elle affirme que c’est Gary Rossington qui a insisté pour que Johnny Van Zant chante les paroles de « Free bird ».

Elle nomme les victimes du crash et, bien entendu, la salle explose au nom de Ronnie Van Zant. Á ce moment, Johnny s’agenouille et lâche quelques larmes (l’émotion et le bourbon font rarement bon ménage). Dale Krantz rappelle que c’est l’anniversaire de Johnny et le public entonne allégrement « Happy birthday to you ».

Johnny nous demande quelle chanson nous voulons entendre et nous gueulons « Free bird » comme un seul homme.

Et c’est reparti pour la sublime intro de piano, la slide majestueuse de Gary et la folie finale! Quand

le morceau s’emballe pour la cavalcade de guitares, Johnny balance le contenu de son gobelet sur le milieu du premier rang et touche quelques mains avant de quitter la scène. Je crois rêver ! J’ai été baptisé au bourbon par Johnny Van Zant et j’ai pu lui serrer la paluche ! Démentiel ! Décidément, j’ai vraiment bien fait d’assister aux deux concerts.

Comme l’autre soir, le public est submergé par la déferlante de notes et transporté par la montée en puissance d’un final survolté. Et moi, je suis juste devant et je n’en perds pas une miette ! « Free bird » terminé, les musiciens nous saluent en souriant. Ils ont l’air heureux. Les spectateurs le sont tout autant. Lynyrd Skynyrd a respecté la tradition en jouant les anciens morceaux mais s’est aussi révélé comme une formation à part entière avec des nouveaux titres efficaces. Voilà une prestation qui restera dans les mémoires.

Moi, j’ai du mal à redescendre. Je rentre chez moi, la tête ailleurs. Je me remémore les temps forts du spectacle : les morceaux différents par rapport au premier soir, le talent d’Ed King et ses prises de bec avec Gary Rossington, le baptême au Jack Daniel’s et la poignée de main avec Johnny Van Zant. J’ai revu Lynyrd Skynyrd pour la deuxième fois. Mon rêve s’est réalisé. Quelle soirée ! Une de celle dont on peut dire avec fierté « J’y étais ! ».

Par la suite, je suis toujours resté fidèle à ce bon vieux combo de Jacksonville. J’ai vu Lynyrd Skynyrd à chacun de ses passages à Paris et avec ses différentes variations de personnel. Mais aucun de ces shows n’a jamais égalé ces deux concerts de février 1992 où j’ai eu l’immense bonheur de voir ce groupe mythique dans sa version la plus proche de celle d’origine.

Ma jeunesse s’est envolée mais malgré le temps qui passe, ce souvenir me procure toujours autant d’émotion et de joie plus de vingt six ans après.

Olivier « Simple Man » Aubry


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